Petite réflexion sur le numérique et la sobriété à venir

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Internet et son implication sur les questions de sobriété

Nous vivons dans une époque singulière. La période actuelle est entrain de mettre fin à l’irresponsabilité de nos actes, de nos modes de vie, notamment le modèle consumériste à l’Occidental.

Par concours de circonstances, nous (êtres humains) sommes responsables de la sixième extinction du vivant, de la crise majeure des ressources métalliques, de la situation alarmante des mines, et les contraintes de la dérive climatique en cours.

Les enjeux permettent enfin d’aborder les causes: notre mode de vie destructeur et consumériste, les dogmes de la finance, le besoin vital d’équilibrer le partage. la notion de biens communs.

Notre modèle productiviste, qui nous plonge dans le mythe d’un monde d’abondance et sans conséquences de nos actes, ne peut plus cacher son incohérence. Nous devons faire preuve d’humilité face aux instabilités majeures que nous avons provoquées en si peu de temps.

C’est une occasion unique de pouvoir se saisir de construire un nouveau modèle d’organisation sociale. Un modèle qui repose sur des postulats qui tiennent compte, dès le départ, de notre corpus de connaissances, que la science a construit et éprouvé.

La résilience impose aussi un équilibre de partage et de solidarité. Il ne s’agit pas là d’une question individuelle, mais bien d’un modèle social, qui doit être porteur de valeurs de parcimonie dans tous les domaines, toutes nos actions et interactions.

Etant moi-même ingénieur et impliqué dans les technologies, je me pose beaucoup de questions sur le présent et le futur du numérique, de sa rationalisation. Au travers de cet article, j’apporte une petite réflexion, au niveau des technologies numériques, ce qui nous a mené à la situation actuelle. Je mets en lumière des valeurs durables dans les technologies libres existantes, et pourquoi il faut s’en saisir concrètement pour rectifier la trajectoire. Un devenir au service des utilisateurs, non une imposition industrielle.

Attention, je n’aime pas réduire ce qui est complexe de façon non-constructive. Il n’existe pas de solution simple, pas de solution unique et globale.

Je pense toutefois qu’il faut s’orienter sur de multiples projets, porteurs de valeurs, qui participent à une construction de nouveaux modèles sociaux, avec responsabilité. Ce n’est pas parce qu’on peut le faire, qu’on doit le faire.

Je porte des lunettes…

J’ai eu la chance de vivre l’essor de l’électronique analogique, supplanté ensuite par l’électronique numérique, les ordinateurs et les consoles de jeux, les BBS….puis Internet.

Passionné d’électronique et d’informatique, j’ai toujours préféré les environnements de type ligne de commande aux gourmandes interfaces graphiques avec ses multiples menus en cascades et ses clicks de souris inombrables.

Pourquoi? Parce que la ligne de commande me contraint à formuler dans ma tête ce que je désire commander à l’ordinateur. Les environnements grapihiques sont dans la suggestion d’options multiples et de sous-options. Ces approches sont mentalement bien différentes, à mon avis.

Travailler dans l’informatique c’est être paresseux et refuser d’effectuer un travail à la main soi-même. Il s’agit donc de programmer, articuler dans un langage informatique la formulation que je construisais dans ma tête. Plus je me plonge dans ce modèle, plus je suis efficace

C’est donc dans cette culture scientifique et technique que j’ai grandi. C’est avec ces lunettes que je vais tenter d’apporter quelques réflexions sur le sujet dont je me suis saisi.

Facteurs majeurs favorisant cette sordide perspective

Loi de Moore

Quand on plonge dans le monde de l’informatique, et ce dans les années qui ont vu l’arrivée de l’ordinateur personnel, c’est un secteur en plein boom.

A ce moment, l’ordinateur devient populaire et accessible, il n’est plus cantonné aux centres de calculs, opérés par des barbus en blouse-blanche-chaussettes-sandales.

Une loi devenue très célèbre, décrit et prédit le doublement du nombre de transistors présents sur une puce de microprocesseur tous les deux ans.

Cette loi se confirme année après année. Le boom de l’électronique numérique s’exprime pleinement. La micro électronique avance à grands pas, très rapidement. Tout est magnifique. Bon…ce n’est pas une loi au sens loi physique ou mathématique, mais l’énnoncé a été exact pendant tout une période.

Toutefois, cette progression de doublement n’est plus valable depuis plusieurs années. Cependant, l’orientation est à l’intégration multicoeurs. Les CPU ne doublent plus en transistors, des limites physiques s’imposent, on produit donc des multicoeurs pour contourner ces barrières complexes.

La loi de Moore a pour conséquence l’obsolecense rapide du matériel, une forme de course tendue. Il faut réflechir chaque année au remplacement de ses ordinateurs…Pourquoi?

L’ordinateur a besoin de logiciels pour être opérationnel, ceci va créer un jeu de consumérisme. Les éditeurs de logiciels vont être en demande de matériel plus performant pour développer des logiciels plus performants. Les constructeurs de matériel vont pousser à l’obsolecense, argumentant qu’il le faut pour des logiciels performants. Un joli modèle consumériste, à large échelle, trouvait ainsi sa logique.

Cette dérive a donc permis le développement de logiciels de très mauvaise qualité, gaspillant les ressources de l’ordinateur, poussant au renouvellement de celui-ci. La programmation changeait de paradigme. Il ne s’agissait plus d’être rigoureux pour économiser des ressources (cpu, mémoire, stockage), pire, cela s’inscrivait dans une forme d’alliance invisible pour toujours renouveler son matériel et ses logiciels.

J’écris cet article à partir d’un terminal UNIX, en utilisant l’éditeur Vim. Il dispose de fonctions puissantes, épuré d’une cosmétique inutile, me permettant de me concentrer sur l’essentiel: la rédaction. Aucune suggestion ennuyante, pas de mélange avec la mise en page ou mise en style de parties du texte. Les ressources nécessaires pour un envrionnement UNIX avec un tel éditeur sont très très modérées.

J’estime donc, qu’un des facteurs qui nous ont permis ce consumérisme des ordinateurs, a, pour origine, la perception de la loi de Moore, qui s’inscrit dans un monde de l’abondance, sans limites physiques. Ceci favorisant la culture de l’obsolescence, jusqu’à des modes pour avoir toujours le dernier modèle. Les téléphones actuels sont purement des ordinateurs avec une batterie et un écran tactile.

Hors, les limites physiques des densités de transistors par cpu s’imposent contre toute volonté de l’ignorer. De plus, comme cité plus-haut, les ressources métalliques ne permettront pas de poursuivre ce modèle de production.

Modèle de la captation d’attention

Internet étant un concept non-commercial, son développement dans le grand public laissait un vide que le monde économique ne pouvait se retenir de récupérer. L’articulation des publicitaires avec les accès gratuits à du contenu ou des applications a permis une alliance diabolique.

L’émotionnel est la matière exploitée, les bulles de filtres se développent selon des algorithmes orientés. Les techniques issues des neurosciences et sciences cognitives sont employées afin de monopoliser l’attention de l’utilisateur et d’influer sur ses choix. Ceci est d’autant plus facilité par la position interactive des différents acteurs: les développeurs peuvent modifier à tout moment le comportement de l’application sans votre consentment.

De façon générale, ces artifices permettent d’accroître de manière significative le temps passé sur une application. Ce n’est pas un absolu, mais se confirme dans l’usage moyen. Les conséquences sont donc l’abus de temps inutile, l’exploitation de l’angoisse des notifications: nous voulons savoir de quoi il s’agit. Que se passe-t-il sans que je dois informé?… Dans les jeux, cela peut se concrétiser par une adaptation des difficultés, le jeu ne doit être ni trop dur ni trop facile.

La tête dans les nuages

Voici un nouveau paradigme dans l’informatique, qui a favorisé sa consommation de plus belle. En informatique, un principe est de dire que tout peut être résolu en ajoutant un couche d’indirection.

Ici, l’idée de départ c’est de dissocier l’entité d’ordinateur physique et virtuelle. Cette abstraction va permettre de fournir plusieurs serveurs virtuels sur un seul serveur physique.

Cela va augmenter l’efficacité d’utilisation des serveurs physiques, permettre ainsi un modèle économique du cloud d’émerger. Ces services gèrent le matériel et fournissent des accès logiciels pour gérer les serveurs virtuels à des clients. On retrouve un mythe de l’abondance, poussant à la consommation, avec la fausse garantie de la pérennité du service.

Principe de parcimonie

Je suis très opposé au solutionisme technologique. D’abord les technologies propriétaires sont asservissantes pour les utilisateurs. Le but vertueux d’une technologie est l’émancipation pour ses utilisateurs, l’accès à la connaissance et sa capacité d’être appropriée, modifiée, adaptée, selon les besoins.

Depuis l’essor des écran tactiles, il y en a partout, sans se poser de question rationnelle sur l’intérêt réel de tels écrans. Il existe des tests de grossesse avec écran électronique. Pourquoi? Le réactif chimique permet directement d’afficher le résultat.

Le mensonge du cloud service c’est l’idée d’abondance, vous voulez combien de cpu ce soir? Quelle capacité mémoire pour le mois? Toutes ces questions induisent une notion illimitée dans la disponibilité. A l’instar d’un étalage de cuisses de poulet au supermarché, vous pouvez revenir chaque jour pour en consommer.

Ainsi, dans l’informatique, le consumérisme repose sur le rêve de limites inexistntes existe tout autant que dans les autres domaines de la société.

La parcimonie revêt d’un savoir-faire de haut vol.

Dans l’informatique embarquée, les ressources physiques définissent le cadre de départ. La capacité de mémoire et de calcul sont les éléments de départ pour une programmation efficace. La consommation électrique tout autant, il s’agit souvent d’équipement sur batteries rechargeables. Ces contraintes réelles imposent une rigeur de programmation, d’optimisation et d’éviter tout gaspillage de ressource.

Les contraintes sont nécessaires pour une réalisation qui soit le moins conommatrice d’électricité, pour que son aire d’utilisation soit minimum. L’objectif est de réduire au possible les coûts et la taille. Les fonctions sont limitées aux fonctions nécessaires et on se débarrasse de toute fonction inutile. A ce titre, on évite au maximum de s’alourdir d’interfaces ou de composants inutiles. Cette description vous semble bien éloignée de votre expérience du numérique? …

C’est exactement ce principe général que je souhaite retrouver de façon prépondérante dans les technologies.

Effet rebond encore et encore…

Comme un chien dans un jeu de quilles, s’invite encore l’effet rebond. En effet, nous doublons la puissance de calcul, de mémoire, et de stockage disque? Ah bien….alors on pourra développer un programme deux fois plus gourmand en ressources, ce sera moins d’effort à fournir pour réaliser le logiciel.

Besoin de plus de vitesse? Il suffit d’acheter le dernier modèle d’ordinateur pour utiliser ce logiciel si gourmand…

Nous voilà tombés dans un cercle vicieux, qui annule toute l’efficacité apportée pour au final en exiger encore plus.

Cet effet se retrouve dans tous les domaines, notre propension à la frugalité est si forte. Dès que nous en avons les moyens, nous cherchons un logement plus spacieux, accumuler plus de meubles, plus de chaussures, …

Un buffet illimité? Mangeons à s’en rendre malade. Sinon autant manger un bon plat dans un restaurant. Un abonnement de téléphone illimité? Réalisons autant d’appels inutiles que possible. Les voitures polluent nominalement de moins en moins mais nous roulons de plus en plus.

Alternatives présentes du modèle des technologies libres

Les grands modèles propriétaires de services commerciaux en ligne sont asservissants et vivent sur le modèle économique de la captation d’attention (raison pour laquelle vous ne payez pas monétairement!). D’où l’adage: Si c’est gratuit, c’est vous le produit.

A présent, nous allons passer en revue des technologies libres, porteuses de valeurs durables. Elles ont pour caractéristiques d’être sous couvert de licence libre, pas d’attrait pour la publicité, pas de captation d’attention.

Messagerie

Il y a des projets libres de messageries sécurisées, sans publicité, sans demande d’inscription, en relation avec votre identité réelle. Préférez ainsi des messageries comme Element/Matrix, Session, Cwtch, SimpleXchat

Elles ont toutes des particularités qui en font leur force. Ce qui est regrettable c’est qu’il n’existe pas de protocole interopérable de messagerie instantanée, ainsi, chaque application utilise son propre protocole.

Cependant, le mérite de ces projets est de se défaire d’un maître centralisé qui capte données ou métadonnées, cache le code, utilise des licences propriétaires, et décide de tout à votre place.

De plus, comme il n’y a pas de modèle commercial, de publicité polluante, l’usage se limite à ce dont vous avez besoin, ni plus, ni moins.

Réseau social

Les réseaux sociaux qui font les choux gras de la presse sont ceux basés sur un modèle commercial de la captation d’attention. Ceux que je vais citer ici en sont dépourvus. Ils sont imparfaits bien entendu, mais ne sont pas encombrés de parasites nocifs comme les réseaux sociaux des GAFAMs.

Il existe un protocole d’interopérabilité dans les réseaux sociaux: fediverse. Construire ainsi une fédération de multiples instances est une organisation beaucoup plus saine. Cela n’a pas forcément de sens d’avoir des objectifs de popularité globale mondiale, c’est plutôt une course à l’ego.

Des applications comme Mastodon, Pixelfed, Pleroma, Diaspora, Secure Scuttlebutt, permettent d’auto-héberger des instances personnelles sur un simple [raspberrypi](secure scuttlebutt), sans exploser la consommation électrique, et s’interconnecter avec d’autres instances pour construire naturellement un réseau -social-. A l’opposé d’un modèle qui promeut l’égo, l’émotion et la violence.

Sites Web

Sans paraphraser Tim Berners-Lee, fondateur du HTTP, le Web est devenu un fourre-tout lourd et insécurisé. Il y a une lutte féroce, interminable, contre les abus du traçage au détriment des utilisateurs. L’évolution cosmétique superficielle dépasse de loin la qualité du contenu.

A ceci, un projet humble a été développé, dans le but que chacun puisse publier facilement du contenu utile. Le projet Gemini permet ainsi d’auto-héberger ou de façon fédérée, un espace simple d’expression, hors de contrôle d’un pouvoir central, de façon très épurée.

Zeronet doit être cité aussi, en ce sens qu’il favorise l’auto-hébergement, les système distribués, et empêchent ainsi la censure.

IPFS est une autre voie de recherche, s’intéressant non pas au lieu d’un site (URL) mais à l’intégrité de son contenu sur fond d’un réseau distribué qui garantit sa disponibilité et optimise les transfers sur le réseau.

Diffusion de contenu vidéo

Google Youtube est le grand service de publication de contenu vidéo. Hors ce service souffre de tous les défauts d’un service commercial propriétaire.

Il faut alors considérer un projet comme PeerTube. Ce projet permet une utilisation fine de systèmes distribués sur Internet, optimise son utilisation pour en réduire sa consommation d’énergie électrique. Aucun modèle de monétisation est encouragé. C’est le pari d’un grand réseau de plusieurs petites installations interconnectées contre la big world company qui fournit elle-seule son service.

Conclusion

Le paradigme général du développement des technologies doit changer et répondre aux enjeux à venir. Aucune solution ne nous sauvera de nos responsabilités, cela relève de la pensée magique et je n’y adhère pas du tout.

Partir du postulat de ressources limitées, d’effort d’efficacité, donc de parcimonie, doit imposer un retour culturel à l’art du savoir faire en tenant compte de contraintes et de limitations.

Le tout écran tactile est un non-sens. Il faut raisonner sur quelles interfaces sont utiles à quels endroits. Un thermomètre à Hg tout simple permet une lecture instantanée et suffit dans certains cas, là où d’en d’autres, un réseau de capteur pourra renseigner sur un état crtique pour des salles d’archives, par exemple.

Des circuits simples de l’électronique analogique peuvent tout à fait suffire, durer, être faciles à réparer ou remplacer, là où des éléments complexes, surpuissants, seront bien plus compliqués à réparer.

J’espère ainsi voir émerger une telle culture de travail et de recherche, qui permette de participer aux efforts nécessaires de sobriété. Il y a de quoi se passionner pour de la transmission radio en morse, pour des interfaces plus rustiques, néanmoins fiables, fonctionnelles, adaptées aux besoins.

Savoir équilibrer de façon adaptée entre Low Tech et technologies avancées libres, épurées de l’inutile, concentrées sur l’objectif, est un bagage essentiel.

Ce développment ne peut se faire que démocratiquement, comme l’expérimentait Bernard Stiegler en région parisienne. La culture Silicon Valley clanique, qui pense tout savoir sans impliquer la société civile, ne mène qu’à des réalisation totalitaires, un des produits les plus tristement populaire et nuisible: Mark Zuckerberg, Elon Musk.

Un projet cité, tel que Gemini, exprime clairement une volonté de retour à une concentration sur du contenu intéressant, épuré de tout habillage trompeur, permettant des communications simples, dans un monde contraint.

Je préfèrerais vivre dans un monde où tout le monde peut vivre décemment, en ayant l’email et Gemini comme moyens de communication garantis, plutôt que ce monde si clivant, où tiktok domine, pendant que d’autres n’ont pas accès à l’eau.

Réaliser ce qui est un objectif utile, ni plus, ni moins, tel est un savoir-faire à retrouver ou acquérir. A ceci, un devoir d’écoute des travaux de la débrouille hors Occident est nécessaire.

A nous d’agir!